Afin de ne pas troubler la vie monastique qu’il venait de rétablir dans son intégralité, il aurait fait bâtir l’importante maison (l'école monastique) donnant sur la place où se dressaient les Halles qui servaient de prétoire (Il faut rappeler que l'enclos de l'abbaye s'étendait jusqu'à la Grand-Place où aboutissait la «rue de l'encloître», actuelle rue de l'Abbaye). L'édifice aurait donc été construit sur le sol même du monastère.
Rien n’était donc mieux indiqué pour l'établir que l'ancienne demeure
du légat située au centre du bourg sur la place des Halles. Ayant été édifiée
sur le sol même de l’abbaye, à la limite de la clôture, l’école serait ainsi
face à la vie séculière d'une part, et de l'autre donnerait directement sur l’enclos
monastique. Considérablement agrandi et adapté à son usage futur, le vieil
édifice rénové prit l’apparence d'une petite Sorbonne, occupant tout un côté de
la place depuis le grand chemin de Pontailler jusqu'à la rue de l'encloître et s'étendant
en profondeur.
A quelle époque les moines de Bèze installèrent-ils cette école dans le
bourg ?
Aucun texte ne le précise. Cependant il est à supposer que ce fut
seulement après 1280, sous l'abbatiat de Girard III, alors que pour la première
fois depuis l’affranchissement de 1221 l'esprit processif apaisé de part et
d'autre, les rapports redevinrent normaux entre moines et bourgeois.
Tout ce que l’on sait est que l'école de Bèze fut très recherchée au
Moyen-Age.
Aux environs de Dijon, écrit encore J. Laurent on remarque « la
notoriété des écoles monastiques de Saint-Seine et de Bèze avant le XIe siècle, et plus tard». Les seigneurs environnants et les riches bourgeois y envoyaient
leurs fils auprès de maîtres réputés, sous l'égide de la puissante abbaye.
Ces nouvelles écoles ne sont toutefois que des écoles élémentaires sous
la direction de clercs étrangers, mais elles deviennent le grand souci des
moines qui s'y intéressent au détriment de leur école de novices. Les monastères
négligent alors leurs école claustrale et, en 1284, l’abbé de Bèze visitant les
abbayes bénédictines du diocèse constate "que les jeunes moines n’ont plus de maître pour apprendre l’art de la grammaire ».
Cet abbé de Bèze, en 1284, est Girard III.
L’abbé gardera théoriquement, l'autorité et la charge de l’école de
Bèze pendant un certain temps puisque, un siècle plus tard, en 1389, L’abbé
Thierry de Charmes, d'après une sentence arbitrale sera tenu comme par le passé
de « fournir le vin au maître et aux clercs de L’école de Bèze le jour anniversaire
de l'abbé des Crôles pour boire après les vigiles », Ce qui montre, d'après L’abbé Roussel que
les écoliers assistaient alors à l’office canonial »
Et Boudot d'ajouter : « Il est rare de trouver dans ce siècle (le XIVe)
et le précédent, une pareille institution dans les communes des campagnes.
La maison qui jouxte actuellement au nord le vieil édifice paraît avoir
été construite au début du XVIIe siècle, d'après une très belle plaque de
cheminée portant la date de 1623, d'emblème artisanal avec fers à cheval, épis
de blé, pampres de vigne surmontés d'un soleil. C'était l’emplacement de la
moitié de l'école détruite.
Fondée et régie par l’abbaye, cette école avait été appelée tout
d'abord et de ce fait « le Petit Monastère», nom resté en usage encore au
siècle dernier.
Puis, avec le temps, par opposition à l'abbaye reconstruite au XVIIIe siècle;
cela devint « le Vieux Monastère ». Ce qui fait que certains,
actuellement, croient y voir les restes de l’abbaye elle-même. Il n’en est
rien. Mais les habitants ont tout oublié de la raison première de ce nom,
ignorant jusqu'à l’existence de l’école.
Henri Chabeuf, alors qu'il était président de la Commission des
Antiquités de la Côte-d'Or, fit en 1897 une communication à ce sujet qui mérité
d’être cité: Il estime ces deux vieilles maisons de la place
« de la fin du XIIIe siècle, de, même style et très probablement construites en même temps .:. L’une
d'elles conserve son perron caractéristique... Le second logis est plus
considérable ... mais sa façade est
gâtée par la main des hommes. Ainsi le
portique du rez-de-chaussée est muraillé, un étage intermédiaire en a rompu l’ordonnance.
La toiture a été aplatie. Enfin, de la tourelle où tournait la vis de l’escalier,
il ne subsiste qu’une amorce. Mais en définitive, le gros œuvre est debout, et
au premier étage, la belle ordonnance des fenêtres se présente intacte avec ses
meneaux, ses tympans à arades aveugles, ses ébrasements à colonnes. En son
état actuel, la maison de Bèze est a tout prendre la plus importante qui
subsiste dans le département, et peut rivaliser avec ce qu’a encore conservé
Cluny de ses demeures renommées des XIIe et XIIIe siècles. »
La description donnée par
Henri Chabeuf est toujours valable. Son aspect est identique, car la façade de
ces deux maisons a été sauvée par lui, de justesse pourrait-on dire, lorsqu’il
obtint leur classement par les Beaux-Arts en 1914 : « Le propriétaire était en pourparlers en
vue d'une cession à l’un de ces marchands qui ne cessent d'approvisionner l’Amérique
non seulement d'objets mobiliers, mais encore d’architectures entières ».
Quant à l’intérieur de
cet édifice, il n’y reste pour ainsi dire plus rien datant de son origine, à
parties murs. Pourtant en 1871 existait encore au rez-de-chaussée, derrière les
« trois arcades ogivales soutenues par des groupes de colonnes dont les
chapiteaux sont ornés de crochets … une salle basse voutée. C’était alors,
depuis 1870, une auberge qui prit le nom d' « Hôtel du Vieux Monastère »,
son enseigne peinte en grosses lettres sur le mur au-dessus de l’ancien
portique muré. Peu après, d'après les renseignements recueillis, l’aubergiste
fit démolir la voûte de la salle basse, appelée ainsi parce que le sol avait
été surélevé, afin d’aménager un étage intermédiaire et y installer des
chambres.
Cette mutilation subsista
mais non l'auberge elle-même, le propriétaire hôtelier l'ayant échangée contre
une maison sur la place où il transporta ses fourneaux en 1878. (C'est l'actuel
« Le Relais »).
Les voûtes du « Vieux
Monastère » ont donc disparu. Le XIXe siècle a la conscience lourde
en fait de mutilations archéologiques. Cependant leur amorce est toujours
visible par place avec ses chapiteaux à crochets, ses têtes d'enfants ou de
jeunes clercs en partie subsistants.
La salle qualifiée de
basse en 1872, avait, à l'origine, été de plain-pied avec la place. Vers 1680
Jean de Ferrières de Sauveboeuf, abbé commendataire de Bèze, ayant fait
exhausser le bief de la forge, tout le village aussi bien que l'abbaye furent
inondés. Après une série de procès le sol dut être partout surélevé d'un mètre,
parfois davantage, surtout du fait de la création de la routé de Dijon à Gray
par Fontaine-Française en 1770 où, dès lors, la chaussée surplomba l'entrée des
maisons. La basé des piliers du portique fut donc profondément enterrée. De là
l'impression un peu lourde et trapue que donne aujourd'hui la façade qui, au XIIIe
siècle, devait avoir une toute autre envolé.
L’escalier à vis de la
tourelle à gauche du portique, a lui aussi entièrement disparu. On n'en voit
plus que remplacement, l’encorbellement dans le mur de la maison voisine. Il
desservait les étages et sans doute la chapelle dans laquelle se trouve une entrée
murée. Cette petite chapelle, car en cela la tradition est formelle,
désaffectée depuis près de 400 ans à la suite de la ruine de l'école, existe
encore, faisant partie de la maison moderne qui jouxte ce qui reste du bâtiment
principal Simple oratoire plutôt étroit et voûté, ne mesurant que six mètres
sur moins de trois. De chaque côté trois alvéoles d'environ deux mètres de
large chacune, à voûte d'arrête soulignée de nervures. A la base de celle du
milieu, sur la droite, et s'appuyant contré le mur de l'édifice subsistant, est
un entablement de pierre en forme de corniche à près de deux mètres de hauteur,
occupant toute la largeur de l'ogive. Au-dessous, un peu sur la gauche, une
petite armoire taillée dans l’épaisseur du mur, avec un renfoncement intérieur sur
le côté. Dans la dernière alvéole de droite, un second passage muré semble
avoir donné accès au bâtiment principal.
La vaste salle de onze
mètres sur neuf et demi, qui occupe toute la façade restée debout derrière les
cinq baies dont deux sont aveugles, est éclairée par les trois autres, dont les « groupes de colonnettes partagent les ouvertures en forme de trumeau et
soutiennent les tympans à doubles lancettes surmontées d'une rose ». Ce n'est
plus aujourd’hui qu'un grenier.
De l’édifice qui se
prolongeait de ce côté il ne reste rien. Mais il a dû contenir, outre la
chapelle; le réfectoire au rez-de-chaussée; des salles d'études au-dessus, peut-être de petites cellules pour de grands
écoliers ou des hôtes de passage. Les dépendances paraissent avoir été situées
en profondeur et sur la rue de l’encloitre, où des restes de chapiteaux à crochets,
une vieille statue, des débris d'arcades furent retrouvés dans les greniers des
maisons actuelles et jusque dans l’épaisseur de certains murs ou dans les sols.
Cette statue, qui
n'est qu'un buste reposant sur un socle en pierre brute, a été retrouvée
encastrée, remployée dans des murs modernes à remplacement des dépendances de
l'école, sur la rue l’encloitre. Elle pourrait avoir fait fonction de gargouille,
puisqu'il devait y en avoir quatre sur la façade - il n'en reste que deux - et
autant sur le revers sans doute. Elles ornaient les corniches supportant la
base du toit primitif.
D'après M. A.
Colombet, ce buste pourrait représenter le maître d'œuvre qui construisit
l'école. De ses bras levés et de sa tête re jetée en arrière, il paraît
soutenir l'édifice en émergeant lui-même de la pierre. Son bliaud (vêtement
porté au Moyen Âge par les femmes, mais aussi par les hommes) largement échancré
sur le col très épais en serait l'indice. Et alors, peut-être pourrait-on voir
dans les plis simulés sur le devant sa propre marque de tailleur de pierre. Cet
artiste, qui vécut il y a sept cents ans, nous aurait ainsi laissé son portrait
et sa propre-signature.
De cet aspect d'ensemble
et de trop rares vestiges, peut-on déduire que cet édifice fut primitivement l'école de Bèze ?
Aucun document,
aucun souvenir n'en est resté, de même qu'il n'y a aucune mention de ce grand
bâtiment dans les archives de la commune ni d'ailleurs.
Et pourtant le
village en a une légitime fierté. Malgré tout, il est plus que probable que ce
qui subsiste est la moitié de ce qui fut la fameuse école de Bèze.
La tradition en
aura seulement conservé mémoire dans son nom de Petit Monastère d'abord, puis
de Vieux Monastère.
Il faut donc crier
très haut que là était située l'École, dont personne n'a pu ou ne s'est donné
la peine de rechercher l’emplacement. Un édifice reposant sur la tête, sur
l'intelligence de jeunes écoliers, l'idée ainsi conçue d'une école était
grande. Qu'au moins la mémoire en demeure avec le culte et le respect dû à ses vieilles
pierres; à ces petits visages graves qui furent témoins de tant et tant de
jours fastes et néfastes. »
* Solange de Montenay ( 1899 - 1973 )
Historienne de
l’Abbaye, où elle a séjourné dans son enfance, elle a travaillé plus de vingt
ans à la première histoire globale du Monastère, du VIIe au XVIIIe siècle:
L’Abbaye bénédictine Saint-Pierre de Bèze. Son histoire au fil des jours,
publiée en 1960, par l’Association Bourguignonne des Sociétés Savantes. Appuyé
sur un travail d’archives considérable, le livre a été salué en son temps par
des spécialistes comme Jean Richard ou Pierre Quarré.
Enfin, pour le plaisir, nous vous avons scanné toutes les cartes postales aux descriptifs fantaisistes, qui avaient le don d’énerver, à juste titre, notre tante Solange. (les commentaires écrits sont les siens)
 |
"Restes de l'Abbaye" (!) |
 |
"Le Vieux Monastère" |
.png) |
"l'Ancienne Abbaye" ! (VIIe siècle !) |
 |
"Vieux Monastère" |
 |
"Le Vieux Monastère" |
 |
"Ancien Monastère de Bèze" |
 |
"La Place et le vieux Monastère" |
.png) |
"Le Vieux monastère (XVe siècle !)" |